Courir en minimalistes ou totalement pieds nus - pour être vraiment mieux dans ses baskets !
La pratique de la course à pied se démocratise de plus en plus. Avec elle, des idées contradictoires sur la meilleure façon de courir.
Le minimalisme est l'une de ces méthodes surprenantes de course qui, s'affranchissant de tout amorti, va à l'encontre des usages, et pose comme principe d'aider - contre toute attente - à courir mieux. Engagés sur ce chemin de traverse, Jean-Philippe et Samuel sont passés tous les deux sur des chaussures minimalistes depuis plusieurs mois pour l'un, quelques années pour l'autre. Olivier quant à lui a intégré une pratique pieds nus il y a quatre ans.
S'agit-il pour eux de surprendre, de choquer ou d'aller à contre-courant ? Au contraire : tous trois affirment qu'ils ne font que répondent à une évidence - celle d'être plus proches de leur corps, ce qui leur permet d'apprendre à mieux se connaître.
Leur vision du minimalisme, c'est celle d'une pratique riche de bon sens, qui permet d'aller simplement dans le bien-être jusqu'à l'extrême, en cherchant à se comprendre et s'écouter, en devenant maître de son déplacement, et en laissant venir à soi de nouvelles sensations.
Portrait croisé de coureurs inscrits dans un mouvement qui répond parfaitement aux exigences de la motricité humaine.
Pour La clinique du coureur, experts en prévention des blessures en course à pied, la définition d'une chaussure minimaliste est la suivante : "c'est une chaussure interférant minimalement avec les mouvements naturels du pied, de par sa grande flexibilité, son faible dénivelé, son faible poids, sa faible épaisseur au talon, et l'absence de technologies de stabilité et de contrôle du mouvement". Commercialement, Le minimalisme se conçoit au travers de multiples modèles de chaussures, de nombreuses grandes marques se lançant sur le créneau. Ici en photo : les nombreuses paires que possède Jean-Philippe.
Des profils de sportifs curieux et passionnés
Pour devenir adepte d'un mouvement qui paraît de prime abord farfelu, il faut avoir soi-même l'esprit ouvert, être doté d'une vive curiosité - et faire preuve d'un minimum d'extravagance. Ces trois caractéristiques se retrouvent chez nos coureurs : Olivier, 49 ans, Samuel, 43 ans et Jean-Philippe, 36 ans.
Olivier a un profil dynamique et multisports : "j'ai toujours couru et fait plein de sports à côté : ski, parapente, randonnée..." Suite à un accident de parapente à l'âge de 28 ans qui l'immobilise temporairement sur un fauteuil roulant, il trouve quand même l'énergie de faire du volley-ball assis. Et, alors que les médecins ne se prononçaient pas sur le sujet, il réussit à remarcher au bout d'un an de soins. Et se relance dans le sport.
Samuel aussi a toujours touché à de nombreuses disciplines. "J'ai commencé le tennis à 7 ans, fait de la course à pied de 15 à 17 ans. Jusqu'à 35 ans, j'ai continué le tennis, avant d'arrêter progressivement. Ensuite sont arrivés le badminton, le VTT, les raids multisports". Et, désormais, retour à la course à pied.
Au départ, courir devait permettre à Samuel d'être "plus performant dans les raids et d'avoir plus d'endurance au badminton. J'avais aussi la motivation de perdre du poids." Pourtant, il se laisse prendre au jeu : "à partir du moment où j'ai commencé à courir, mon but a été d'aller de plus en plus loin. J'ai commencé sur le bitume, et ensuite dévié vers le trail car pour moi c'était plus naturel. J'ai fait mon premier marathon en 2010 à Berlin, le dernier au Mont Saint-Michel en 2012. J'ai ensuite participé à des trails de plus en plus longs. Le déclic de l'ultra-trail est venu avec la course des Templiers en 2012".
Le parcours de notre troisième coureur minimaliste, Jean-Philippe, est lui aussi très sportif : "j'ai d'abord fait du cyclisme avec, dans l'ordre, la route, le VTT cross-country puis le VTT descente, le cyclo-cross, le bicross. Maintenant, pour me rendre sur mon lieu de travail, je chevauche tous les jours un vélo de cyclo-cross monté en singlespeed, c'est-à-dire avec une seule vitesse". Une idée qui n'a rien d'ordinaire, que Jean-Philippe qualifie "en quelque sorte de minimalisme dans le domaine du deux roues".
Il s'est aussi essayé au basket-ball pendant un certain temps. "Mais n'ayant pas l'esprit de compétition, je suis reparti sur une discipline individuelle avec la course à pied". Une idée soufflée par sa soeur, qui lui avait lancé le défi de "participer à la nocturne du Hans. Je ne me rappelle plus en quelle année c'était, je sais juste qu'à l'époque, je trouvais ça tellement ennuyeux de courir plus de 30 minutes... Mais il ne faut jamais me lancer un défi !" prévient-il, tout sourire.
Samuel a commencé la course à pied pour travailler son endurance. Il s'est découvert un profil d'ultra-traileur.
S'équiper plus léger pour durer plus longtemps
Les raisons qui ont poussé nos coureurs à se mettre au minimalisme sont très variées.
"L'idée du minimalisme s'est faite dans un premier temps par rapport à ma foulée et au type de chaussures", explique Samuel. "Pendant 4 ans, j'ai couru avec des chaussures classiques. Quand la marque Altra a fait son entrée sur le marché et a parlé du drop zéro, cela m'a interpelé et je me suis intéressé au concept minimaliste et à ma foulée." Car "après avoir fait la CCC en 2013, j'ai pris conscience que j'étais fait pour de l'ultra, et je voulais me donner les moyens de durer, donc de courir le plus longtemps possible en étant à l'écoute de mon corps".
Convaincu des apports du minimalisme pour atteindre cet objectif, notre coureur démarre une transition très progressive : "J'ai fait mon premier ultra-trail (L'infernal, 160km, dans les Vosges) en 2014 puis ensuite j'ai changé ma foulée vers l'avant. C'est seulement après que je me suis penché sur la pratique minimaliste. Je me suis aussi rappelé que jeune, je courais souvent pieds nus - et que j'aimais bien ça. Je n'ai acheté ma première paire de Vibram FiveFingers (VFF) qu'en avril 2015, soit après avoir déjà fait une grosse partie de la transition".
De son côté, Jean-Philippe est passé au minimalisme poussé par sa grande curiosité : "je ressens le besoin de tout tester. L'année dernière, sur la 6000d, j'avais croisé un couple de runners (les Lapins runners) qui faisaient le trail chaussés en VFF. Intrigué, je suis entré en contact avec eux à mon retour. Et c'est à force de discuter ensemble que j'ai franchi le pas. Carole (la lapine) a su me convaincre. J'ai épluché les articles sur le net, lu les livres sur le sujet et l'évidence m'a sauté aux yeux : il fallait tout changer !" Pour Jean-Philippe, "avant tout, il me fallait essayer. Je n'ai pas l'habitude de critiquer sans avoir testé. J'ai eu un bol monstre, car à cette période, sur internet, avait lieu une vente privée qui m'a permis de m'équiper pour pas trop cher. J'ai acheté 3 paires de Vibram FiveFingers. J'en ai 6 actuellement".
Du côté d'Olivier, la curiosité est là aussi, mais plus qu'une tentation de découverte, la course pieds nus est perçue comme un vrai remède. Car il y a quelques années, peut-être en lien avec son accident, "j'avais des douleurs de plus en plus intenses au genou quand j'allais courir. Je ne pouvais plus courir sans avoir mal." Un jour, pour faire un test, "je suis allé courir avec des petites savates. Tout de suite après, j'y suis allé pieds nus. Et ça m'a réparé le genou cash ! C'était il y a quatre ans environ".
Jean-Philippe, qui accompagne en VTT Carole, la lapine des Lapins runners, venue courir en Alsace. C'est elle qui lui a fait découvrir le minimalisme.
Effectuer sa transition en douceur
Olivier a commencé sa pratique pieds nus en randonnée, avec ses chaussures dans le sac à dos. "C'était en Corse, sur le GR®20. Dans les tourbières, la sensation est super agréable !" La course à pied s'et greffée très rapidement après. Sa première fois, "c'était au Taennchel : j'ai fait une sortie d'une heure trente", tout en douceur. Il ressent "un travail du mollet et de la cheville qui est complètement différent". Avec un impact sur l'ensemble du corps : "tu cours autrement", affirme-t-il.
Pour Samuel, la transition a demandé une nouvelle approche : "au début, ce qui a été difficile, c'est qu'on reprend quasiment de zéro. On va moins vite, les repères ne sont plus les mêmes. C'est un peu frustrant et il ne faut pas être pressé. J'ai eu des douleurs musculaires comme au démarrage en course à pied, car forcément l'effort ne sollicite pas les mêmes muscles qu'avec des chaussures classiques."
Pour installer le bon mouvement, il met l'accent sur une préparation musclée : "Pour la transition, ce qui a été le plus important pour moi c'est d'avoir une foulée vers l'avant, et pour y arriver je suis passé par 6 mois de corde à sauter. Cela m'a permis de retrouver le réflexe d'être sur l'avant. C'était un an avant d'acheter mes premières VFF." Ensuite, "comme je cours 5 à 6 fois par semaine, j'ai intégré une séance avec les VFF. J'ai procédé comme ça jusqu'en septembre 2015. Je ne voulais rien précipiter car j'avais l'objectif de l'UTMB® avant de passer à une pratique 100% VFF."
Plus impatient, Jean-Philippe a démarré aussitôt après l'achat de ses VFF : "Lors de mes séances de course à pied, je terminais toujours par un kilomètre, puis 2 km, puis 3 en troquant les chaussures traditionnelles contre des VFF. Mes mollets ont pris cher au départ". Le plus difficile au début, "ç'a été de me modérer : c'est tellement top de courir presque pieds nus. L'herbe qui se cale entre les orteils, surprenant, génial !"
Pour lui, la transition n'est pas encore terminée. "j'ai dû me rendre à l'évidence que faire du long avec des VFF sera assez compliqué, voire risqué en termes de blessure - je suis fragile des membres inférieurs. J'ai donc décidé que les séances courtes d'une heure se feront en VFF (travail de foulée, gestuelle, fréquence). Les séances plus longues, quant à elles, se feront en chaussures tradi' mais avec peu voire pas de drop (- de 4mm), et peu d'amorti. Pour l'instant, ça marche bien". Jean-Philippe a déjà réalisé 112km en minimalistes d'une seule traite, en ralliant Saverne depuis Wissembourg par le GR®53, GR®5. "Pour 2016, je me suis lancé le défi de traverser notre massif via cet itinéraire, de Wissembourg à Masevaux." Parce que "la discipline qui m'attire, c'est l'ultra, le long".
Olivier s'imprègne du contact avec le sol, avec la terre, lors de ses randonnées et courses pieds nus. Lui qui souffrait de douleurs récurrentes quand il courait l'affirme : "courir pieds nus, ça m'a réparé cash !"
Un apport incontestable en termes de sensation et de bien-être
Lorsqu'il marche ou court pieds nus, en forêt, en montagne, dans la nature, Olivier considère : "je ne fais pas de sport, c'est comme de la méditation". Cet effort-là est synonyme de bien-être : "courir pieds nus, ça t'équilibre ! Mes douleurs au genou, au bassin, se sont envolées. Au niveau du dos aussi, ça répare les problèmes de cervicales. Moi qui pensais que j'étais foutu, j'ai simplement revu ma façon de courir - et tout s'est remis en place."
Pour Samuel, courir en minimalistes s'apparente à une démarche d'introspection. Ce qui l'intéresse particulièrement, c'est d'être "confronté à moi-même : or quand on se retrouve seul avec soi-même, et qu'on se pose des questions, on apprend plein de choses et c'est ça que je trouve intéressant. Dans le fond, j'essaie de ne faire qu'un avec le milieu naturel dans lequel j'évolue". Avec l'avantage indéniable que "les sensations sont vraiment trop bonnes sur les distances que j'encaisse en VFF". Même si "cela passe par une période d'apprentissage qui signifie un retour en arrière sur ses acquis".
Ce qui compte, c'est "le bénéfice en termes de sensations, qui est énorme. Quelque part, je suis plus à l'écoute de mon corps car je suis beaucoup plus vigilant. Donc au final, je trouve cela beaucoup plus sain. Je recommande la course à pied minimaliste à tous ceux et toutes celles qui ont envie de se redécouvrir. Dans l'ensemble, le minimalisme permet de comprendre la biomécanique de notre corps, et de se rendre à l'évidence que la nature nous à conçus de manière à ce qu'il n'y ait pas grand chose à rajouter, que tout est déjà en place et que nous sommes tous bien équipés. C'est comme la femme et l'allaitement : la nature a tout prévu, il suffit de se servir - et c'est gratuit."
Logiquement, pour Samuel, passer en pieds nus, "c'est l'étape suivante". Mais là non plus, pas d'urgence : "je n'ai pas d'objectif, je laisse venir les choses car je ne veux surtout pas forcer : j'aimerais que la transition finale se fasse naturellement."
De son côté, Jean-Philippe a toujours constaté et admis que le sport lui apportait "avant tout la sérénité, le bien-être physique et mental. Les amis." Avec le minimalisme, "j'ai cette sensation de faire du bien à mon corps en adoptant la bonne posture pour la course." Pour lui, "impossible de revenir en arrière avec ce que j'ai appris sur la pratique d'une foulée médio-pied, sur la biomécanique de notre corps. Ce serait criminel de faire marche arrière ! Par contre, courir totalement pieds nus ne m'attire pas. Il me faut un minimum de protection du pied". Fort de cette expérience concluante, il admet : "Je ne peux qu'encourager chacun à faire l'essai : courir pieds nus sur quelques mètres sur une pelouse, et se faire sa propre opinion".
Quant à Olivier, il continue à intriguer et à attirer le regard des curieux. Devant les questions perplexes de ses amis, pour convaincre, il les initie à sa "méthode" - qui consiste simplement à ôter ses souliers et se laisser aller aux sensations. Et devant les regards critiques, il se contente de sourire et de continuer son chemin.
"Sauvages, spartiates, fous, courageux, inconscients, allumés..." Les qualificatifs dont sont affublés les coureurs minimalistes et pieds nus vont bon train. Bon d'accord, ce n'est pas Jean-Philippe qui reniera son attitude délurée - mais tellement authentiquement joyeuse. Et, comme l'évoquait Albert Einstein : "Une question parfois me laisse perplexe : est-ce moi ou les autres qui sont fous ?" En l'occurrence, ne serait-ce pas pure folie que de se priver d'un tel potentiel de bien-être et de connaissance de soi ? L'idée a vocation à prendre de l'ampleur. Tout comme la foulée minimaliste...
Jean-Philippe, 36 ans, Hatten (67)
- Son profil de coureur : "Je ne me considère pas comme un runner comme les autres. J'ai beaucoup de mal à accrocher un dossard, non parce que je n'arrive pas à me servir des épingles à nourrice, mais plutôt parce que je bloque sur la notion de devoir payer pour courir sur nos sentiers, dans le massif vosgien. Je suis traileur, pas très attiré par le bitume. Il n'y a que 3 ou 4 objectifs par saison que je prépare sérieusement. Le reste, c'est en Off".
- Son expérience minimaliste : "Depuis août 2015, j'en suis environ à 1 000km en minimalistes (vff, inov8 et merrell)". Un moment redevenu cycliste, Jean-Philippe avait contracté une fracture de fatigue sur le tibia. "L'ultra m'attirant plus que jamais, j'ai pas mal chargé la fin de l'année 2015 en volume de course. J'ai été vraiment grisé d'adopter cette nouvelle façon de courir, et l'entraînement croisé que je pratiquais en début d'année a été laissé de côté. Alors ça n'a pas loupé : mon corps m'a dit stop. Comme quoi, l'entraînement croisé, ça a du bon". Depuis qu'il a repris l'entraînement, "je cours à 100% VFF sur du plat jusqu'à 20km en forêt ou dans les champs."
- Ses petits trucs à lui : "Je porte des chaussures classiques uniquement sur mon lieu de travail, car je n'ai pas le choix. Autrement je suis en VFF au quotidien. Je passe pour un fou partout où je vais (délire de baba cool, affirme mon entourage). Je suis un peu extrémiste dans tout ce que je fais." Et parce que rien ne semble vouloir l'arrêter : depuis trois mois, Jean-Philippe est devenu végétalien.
Samuel, 43 ans, Rixheim (68)
- Son profil de coureur : ultra-traileur.
- Son expérience minimaliste : "Aujourd'hui, ma distance maximale en VFF est de 52km. J'avais envisagé de faire la Maxi-Race en VFF, mais finalement je l'ai réussie en minimalistes Altra. C'était Une course très dure techniquement mais j'en suis arrivé à bout après presque 17h".
- Ses projets : "J'ai réussi à intégrer la course de la Pierramenta d'été qui aura lieu le 1/2/3 juillet : c'est une course de sky running par équipe de deux, sur 70km et 7 000m D+. Je vais la faire en VFF et en inov8-X-talon 200. Le 5 août, j'ai en projet de participer à l'irontrail de DAVOS, 201km, en VFF". Samuel court aussi avec sa femme : il sera sur l'Eiger (51km) le 16 juillet.
Olivier, 49 ans, Ribeauvillé (68)
- Son profil de coureur : Olivier est attiré par la course en montagne, dans la forêt.
- Son expérience pieds nus : "À chaque fois je suis surpris de ce que j'arrive à faire. Je vis sans cesse de nouvelles expériences car j'arrive à tenir de plus en plus longtemps. C'est une vraie satisfaction de sans cesse progresser encore à mon âge !"
- Ses petits trucs à lui : "Quand je cours, j'essaie d'être pieds nus jusqu'au bout - je veux voir jusqu'où je peux aller. J'ai déjà couru 4h d'affilée pieds nus". Le seul risque qu'il rencontre, ce sont les petites blessures au pied, liées aux cailloux : "mais à force, le pied se renforce, et on ne sent plus les cailloux !" Dans sa démarche bien-être, Olivier s'intéresse à une alimentation ultra-saine et a notablement modifié sa façon de s'alimenter.
L'auteur, Elyse Moreigne
Editrice de Plaisir du sport en Alsace, passionnée de langages écrits, nageuse, coureuse et randonneuse,
parfois triathlète, engagée pour valoriser la pratique sportive en Alsace en tant que source de bien-être, d'enthousiasme, de dépassement de soi !
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